4- La signalisation

On a coutume de dire que le jeu de tarot est un jeu de défense. Non pas qu’il faille manquer d’audace pour être un bon joueur mais parce que, finalement, le jeu d’attaque ne nécessite pas une stratégie particulièrement élaborée. Il s’agit d’un jeu mécanique ne laissant souvent que deux " flancs " possibles : jouer atout ou jouer sa longue.

A l’opposé, le jeu des défenseurs nécessite une subtilité de jeu bien supérieure. En effet, le jeu de chacun des défenseurs est par définition d’une valeur inférieure en comparaison de la main de l’attaquant après écart à moins que ce dernier ne se soit senti l’âme d’un kamikaze. La clef de la réussite, celle qui permet de faire chuter le preneur ou au moins de minorer l’addition, est donc de pouvoir articuler les points forts de chacun des jeux en défense, c’est-à-dire de mettre en commun ces forces pour contrebalancer l’inégalité de la distribution.

La signalisation consiste donc à annoncer à ses partenaires la teneur de son jeu. Pour cela, la seule méthode autorisée par le règlement consiste à jouer certaines " séquences ". Il est défendu de signaler autrement qu’à travers les cartes... grimaces, soupirs et autres petits gestes sont interdits ! La signalisation n’est pas de la triche : on ne peut pas utiliser une signalisation qui soit inconnue de l’attaquant ! C’est pourquoi certains joueurs préféreront parler de conventions de jeu.

" Mais alors, le preneur aussi voit et comprend les signaux ? " Oui, c’est la contrepartie loyale de ce système de jeu élaboré.

Pratiquement, les conventions de signalisation qui seront exposés ici sont le résultat du dur apprentissage des tournois que j’ai pu faire. D’autres conventions peuvent exister, n’hésitez pas à vous les faire préciser. En fin de chapitre, vous trouverez également les limites de ce jeu.

A l’atout

La convention la plus usitée est probablement le fait pour le défenseur qui possède le petit de présenter le plus gros atout lorsqu’on lui demande de l’atout. En fait, il ne s’agit pas vraiment d’une convention mais plutôt d’une logique de jeu. Obligation est faite de monter à l’atout. Si le preneur joue atout pour prendre le petit, ce défenseur doit se débarrasser de ses " grosses pointures " pour pouvoir déposer le petit sur une pli d’atout remportée par ses partenaires. Cette règle connaît ses exceptions, notamment quand le propriétaire du petit est situé juste derrière le preneur (dans ce cas, jouer ses gros atouts risque de faire perdre ceux de ses partenaires et donc de laisser le champ libre au preneur) ou lorsqu’il peut défendre seul son petit (par un nombre d’atout non négligeable).

Pure convention par contre, le fait de lancer atout à l’aide d’un atout pair ou impair ! lancer impair signifie (en jeu à quatre) 7 atouts en main ou plus donc redemande de l’atout alors que jouer pair signifie que l’on joue atout " faute de mieux " ou pour lancer un " 2 pour 1 ".

Autre convention, placer l’excuse sur le premier tour d’atout signale à ses partenaires qu’il ne faut plus jouer atout.

Autre couleur

Lancer une carte comprise entre 1 et 5 signifie que le roi ou la dame sont en main. Cette convention est très utile pour deux raisons : d’abord cela permet au propriétaire du roi de ne pas attendre vainement la dame du preneur alors qu’en réalité elle est dans la main d’un défenseur. Le second motif est, lorsque ses atouts sont épuisés, de placer ses points avec confiance sur une pli qui sera remporté par un partenaire.

Sur la couleur lancée par le preneur (donc supposée comme étant sa longue), jouer en décroissant indique à ses partenaires la possession d’au moins cinq cartes dont le roi ou la dame (" avoir une tenue dans la longue du preneur") avec espoir de faire au moins deux plis. L’intérêt d’une telle annonce est de permettre à ses partenaires de se débarrasser de ses atouts pour sauver sur cette couleur les points en danger. On peut faire la même annonce en s’excusant sur le premier tour joué par l’attaquant dans la couleur.

Sur la couleur lancée par la défense, la même signalisation (en décroissant) a une toute autre valeur : elle signifie que l’auteur de cette signalisation n’avait que deux cartes dans cette couleur et qu’il va couper au prochain tour. Si ce joueur est placé derrière le preneur, la défense pourra alors jouer quelques points pour obliger le preneur à les acheter avec un gros atout ou à les abandonner au défenseur. Si le signalant est placé devant le preneur, il pourra alors torpiller les gros atouts du preneur en l’obligeant à monter très haut. Attention toutefois à ne pas donner au preneur " une excuse en or ".

Les refus de conventions

En fait, il s’agit de techniques de jeu plus que de conventions car elles nécessitent une compréhension du jeu importante.

La première, relative à la signalisation du petit en défense, consiste en une désobéissance du jeu. Il s’agit par exemple de ne pas revenir à l’atout alors qu’un partenaire a joué " impair " ou de ne pas signaler un doubleton. Ce " refus de conventions " vient compléter l’arsenal classique de signalisation du petit.

Une signalisation mensongère peut également être le fait du joueur placé juste devant le preneur. En effet, dans certains cas, il peut être payant de faire une fausse signalisation pour tromper le preneur.

Les limites de la signalisation

Cette technique a ses limites. Par exemple, il ne faut pas oublier qu’un joueur qui joue un atout pair a peut-être... 9 atouts pairs ! Ou tout au moins pas de petit atout impair.

De même, jouer une carte du 1 au 5 en entamant une couleur peut être le fruit d’une main qui ne possède pas autre chose que ces petites cartes...

Enfin, il est inutile de signaler un doubleton si vous n’avez pas d’atout !

Commentaire sur la signalisation

Certaines conventions connaissent des variantes. Ainsi, la signalisation de jeu fort dans la longue du preneur est signalé par certains de façon complètement opposée (le jeu en décroissant signifiant alors que l’on n’a pas de quoi tenir tête au preneur dans cette couleur). Les adeptes de cette signalisation justifient ce choix par le fait que " signaler en décroissant " nécessite deux tours alors que " signaler en croissant " peut parfois se faire en un tour (en jouant l’as en premier) ce qui permet de gagner un temps. De plus, cela permet de ne lâcher que des très petites cartes (donc garder une reprise de main supplémentaire). Seul inconvénient, mais de taille, le manque de lisibilité... jouer en ordre croissant est naturel, la signalisation est donc moins " visible ".

A trois joueurs, la plupart de ces signalisations prévues pour quatre sont transposables. L’atout impair devra alors être réservé au possesseur de 9 atouts minimum.

Conclusion

Les conventions de jeux sont inévitables pour les joueurs qui souhaitent se lancer dans un tournoi en duplicate. Elles sont très utiles pour les tournois en donnes libres. En dehors de ces cas de compétition, l’utilisation de la signalisation trouve aussi sa justification :

  • cela permet de relancer l’intérêt du jeu quand les partenaires sont toujours les mêmes. On évite ainsi de jouer en fonction des habitudes de ses partenaires que l’on a appris à se connaître après de nombreuses soirées ;
  • cela permet également de jouer un bon niveau de jeu très rapidement avec des partenaires inconnus sans avoir besoin de round d’observation.

Par contre, dans le cas où " compter les atouts " est déjà une contrainte, il paraît difficile d’envisager de jouer avec conventions. La signalisation nécessite une attention et une concentration toute particulière (non pas pour signaler mais pour voir les signaux de ces partenaires et savoir y répondre)... donc moins de détente voire un peu de stress...

En tout état de cause, la signalisation apporte aux joueurs une grande satisfaction quand elle permet de faire chuter un preneur avec un jeu auparavant considéré comme inchutable ! De jeu de hasard, le tarot devient jeu de réflexion et de stratégie.